INTERVIEW AUTEUR
Emmanuel PROST
Vendredi 14 décembre
à 18 h (en différé)
JM : - Bonsoir à tous
⁃ Je vous ai parlé sur ces pages d'Emmanuel PROST que je compte parmi mes fidèles amis et dont j'ai lu pratiquement tous les ouvrages. Emmanuel a gentiment accepté, récemment, de se soumettre à mes questions.
⁃ Je partage donc avec vous cette interview à l'issue de laquelle vous pourrez, si vous le souhaitez, poser vos questions auxquelles Emmanuel répondra en direct ou en différé en fonction de ses disponibilités.
JM : - Bonsoir Emmanuel
⁃ Comment allez-vous ? Etes-vous prêt à « subir mon petit interrogatoire » ?
Emmanuel : Bonsoir Joëlle, oui tout va très bien. Et je suis prêt à répondre à vos questions.
JM : - Pouvez-vous, tout d'abord, vous présenter afin que nos amis puissent mieux vous connaître ?
Emmanuel : Je suis né à Roanne (dans le département de la Loire) où j’ai grandi et vécu jusqu’à l’âge de 20 ans. Mon parcours m’a ensuite conduit dans le Nord. Plus précisément dans le Pas-de-Calais, dans l’ancien bassin minier artésien que j’habite depuis maintenant presque 30 ans. Je me suis très vite intéressé à l’histoire de ma région d’adoption, et depuis quelques années j’écris des romans qui se veulent tous comme autant d’hommages tendres, émouvants et sincères à celle-ci et à sa population.
JM : - Pouvez-vous nous parler de vos romans, la liste est longue certes mais ne serait-ce que quelques mots.. et surtout de votre “dernier né” “L'antichambre du Bon Dieu” ?
Emmanuel : J’ai d’abord écrit un roman fantastique, « Kamel léon », dans l’esprit du « Passe-muraille » de Marcel Aymé, une aventure contemporaine pleine d’humour où je plonge un type ordinaire dans une histoire extraordinaire dans l’univers du showbizz parisien (ce livre a connu une récente réédition en 2016). J’ai ensuite publié un recueil de nouvelles qui avaient en commun d’avoir toutes pour décor la petite ville de Charlieu dans laquelle j’ai grandi. Puis en arrivant à Sallaumines, j’ai découvert la catastrophe minière qu’avait subie cette ville le 10 mars 1906. J’ai donc voulu faire de ce terrible événement l’axe narratif d’une fiction où le lecteur pourrait suivre le parcours de personnages sur quatre générations. Après quinze ans exclusivement réservés à la recherche documentaire pour me spécialiser sur le sujet, j’ai pu enfin écrire mon roman : « La Descente des Anges » (sorti en 2014). J’ai pris tellement de plaisir à l’écrire (et les réactions des lecteurs étaient si enthousiastes) que j’ai poursuivi dans cet univers des romans historiques régionaux. Ont donc suivi « Les Enfants de Gayant » (en 2015), « Un été 48 » (en 2016), un roman jeunesse « La Folle Aventure de Marty » (en 2017), et enfin cette année « L’Antichambre du bon Dieu ». Un roman qui me permet de remonter un peu plus loin dans le temps, au XIXème siècle, à la genèse de la grande aventure minière du Pas-de-Calais. J’y raconte l’histoire de Patou qui, à Oignies (dans le Pas-de-Calais) est considéré comme l’idiot du village. Patou est un être cabossé, incapable de s’exprimer autrement qu’à travers le rire. Un rire qui trahit aussi bien ses joies que ses peines. Un rire qui, pour la majorité de ses congénères, a bien du mal à être compris. Patou grandit donc avec pour seul compagnon son cheval Chico. Jusqu’au jour où le père de Patou, soucieux de réaliser une bonne opération financière, a la mauvaise idée de céder Chico aux compagnies des houillères en train de se développer sur le secteur.
JM : - Avez-vous d'autres projets d'écriture et souhaitez-vous nous en parler ?
Emmanuel : Oui, j’ai toujours plusieurs projets écriture d’avance en tête. Le plan du prochain est prêt, mais je n’en ai pas encore commencé l’écriture. Il est donc encore un peu tôt pour vous en parler. Ce que je peux vous en dire, c’est qu’il s’agit d’une histoire se déroulant toujours dans le Pas-de-Calais, mais on s’éloigne du bassin minier pour aller sur le littoral, à Etaples, une petite ville de marins pêcheurs voisine du réputé et très bourgeois Touquet – Paris-plage.
JM : - Où trouvez-vous l'inspiration pour créer les protagonistes de vos livres ? Improvisez-vous ou connaissez-vous la fin de vos histoires avant d'en commencer l'écriture ?
Emmanuel : Pour mes personnages, je peux parfois m’inspirer de personnages réels, mais ils sont le plus généralement des personnages de fiction. J’ai vraiment grand plaisir à inventer leur vie, leur parcours, leur destinée. Il peut y avoir en cours d’écriture une petite marge d’improvisation, mais je connais systématiquement la fin de mon histoire avant d’en commencer l’écriture. Pour « Les Enfants de Gayants », j’ai même démarré l’écriture par le tout dernier chapitre, celui de l’ultime rebondissement, du dénouement final. Je savais ainsi vers quoi je devais aller et ai pu construire le déroulement du récit en dosant parfaitement ce qui pouvait (ou devait) être dit, et ce qu’il fallait cacher pour préserver la surprise finale tout en instaurant un certain suspense. J’aime avoir le pouvoir de surprendre mon lecteur jusque dans les toutes dernières lignes. La conclusion de mes histoires est donc toujours pour moi le point le plus crucial.
JM : Comment procédez-vous pour écrire vos romans (carnets, cahiers, fiches, écriture directe sur l'ordinateur) ?
Emmanuel : J’aime écrire la première mouture de mes romans sur un (des) cahier(s). Je la reporte ensuite sur ordinateur et peux à partir de cet instant la modifier des centaines de fois via mon logiciel de traitement de texte. La version finale n’a bien souvent plus rien à voir avec celles de mes cahiers du départ, mais cette écriture manuscrite initiale est pour moi primordiale, car la main est – beaucoup plus que les doigts sur le clavier – le prolongement le plus direct de ma pensée.
JM : - Quand écrivez-vous (la nuit, le jour) pendant combien d'heures ?
Emmanuel : Je n’ai pas de rituel d’écriture. Je peux écrire à toute heure et m’adapte surtout en premier lieu au planning de mon autre travail (je suis par ailleurs ingénieur de production informatique) et à celui de ma vie familiale.
JM : -Avez-vous des séances de dédicaces prévues prochainement et où ?
Emmanuel : Je viens (pour raisons professionnelles) de traverser la France et de m’installer dans le Var. Une mutation géographique qui m’a empêché de définir cette année un planning de dédicaces comme il se doit. J’ai eu un planning signature très chargé ces dernières années, il faut maintenant attendre que je me réorganise un peu. Parce que je suis bien conscient qu’un des plus grands plaisirs du travail d’écrivain est d’aller à la rencontre de ses lecteurs. Vos retours sont si formidables. Je travaille pendant de longs mois seul dans mon coin. Je me demande toujours, à chaque nouveau roman, si j’ai été à la hauteur de ce que moi je voulais faire, et de ce que, vous, vous attendez de moi. Et la libération est à chaque fois de vous rencontrer. C’est vous, lecteurs et lectrices, qui donnez à mon statut d’auteur sa pleine légitimité.
JM : - A qui confiez-vous vos manuscrits en première lecture (membre de votre famille, bêta lecteur) ? Qui réalise les couvertures de vos livres ?
Emmanuel : Il n’y a que mon épouse à qui j’offre la primeur de découvrir ce qui n’est encore qu’un manuscrit une fois que j’en ai entièrement fini l’écriture. Après, c’est du travail éditorial avec mon éditrice et son équipe qui me font toujours beaucoup retravailler le texte, pour le peaufiner, rendre le récit le plus efficace possible.
JM : - Quels sont les auteurs qui vous ont donné l'envie d'écrire ?
Emmanuel : Mes goûts en littérature sont des plus éclectiques, et les auteurs qui composent mon panthéon littéraire (et m’inspirent pour des raisons bien différentes) sont assez nombreux. Ils vont de William Shakespeare à Franck Thilliez, en passant par Victor Hugo, Oscar Wilde, Mary Shelley, Stefan Zweig, Tennessee Williams, Agatha Christie, Louis-Ferdinand Céline, Hergé, Boris Vian, Marcel Pagnol, Georges Simenon, Bernard Clavel, René Goscinny, Sébastien Japrisot, Roddy Doyle, Carlos Ruiz Zafon, Stephen King, Annie Degroote, JK Rowling, Jean Teulé, François d’Épenoux, Jean-Paul Didierlaurent, Valérie Tong Cuong, Pierre Lemaître, Franck Bouysse ou Jussi Adler-Olsen.
Mais s’il y a un livre qui peut être considéré comme l’élément déclencheur de mon envie d’écrire, c’est « La Belle Image ». Ce n’est peut-être pas le meilleur roman de Marcel Aymé, mais j’en ai aimé son originalité, sa simplicité et son efficacité. Quand je l’ai lu, je me suis dit en tournant la dernière page : « J’aimerais bien un jour moi aussi écrire des histoires comme ça… »
JM : - Ecrire est-ce pour vous une passion ou un métier ?
Emmanuel : Une passion, bien évidemment. Un métier, j’en ai un par ailleurs. Et je dis toujours que la passion doit être le moteur premier de la création. Celui qui exerce une activité artistique pour une autre raison se fourvoie complètement. Il ne la fait pas pour les bonnes raisons. Après, si cette passion le mène jusqu’à pouvoir en faire son métier, tant mieux. Mais attention de toujours préserver cette notion de plaisir qui nous anime au départ, parce que si tout cela devient un jour une obligation, je suis persuadé que le résultat final s’en ressent et qu’on devient d’un coup bien moins « séduisant ».
JM : Lisez-vous et quel genre de lecture ?
Emmanuel : Oui, je lis beaucoup. Et dans tous les genres. Je dis toujours que dans toutes littératures il y a du bon et du mauvais. Je ne peux donc me cantonner à un seul genre, ce serait trop restrictif. Bon, je n’aime pas trop la Science-Fiction (que je différencie bien du Fantastique) et la Fantasy, mais pour le reste, que ce soit du polar, du thriller, du fantastique, du roman historique, du roman contemporain, des biographies, j’aime varier les plaisirs. Je suis conscient qu’il y a un très grand nombre de livres exceptionnels. Et ma plus grande frustration est de savoir qu’il me sera impossible de lire tout ce qui peut être considéré comme indispensable.
JM : En dehors de l'écriture quelles sont vos passions ?
Emmanuel : J’aime beaucoup le cinéma. J’ai eu une période, dans les années 80, où je connaissais tout du cinéma sur le bout des ongles. Bon, je suis un peu moins l’encyclopédie de cet art aujourd’hui, mais la passion est toujours là. Je suis d’ailleurs persuadé que mon écriture est influencée par mon amour du 7ème art et que ce que j’écris est avant tout ce que j’aimerais voir un jour sur un grand écran.
J’ai longtemps été musicien (clarinettiste). J’aime le sport, les voyages, partager un bon repas, déguster une très bonne bière (j’habite près de la frontière belge, les champions du monde de la discipline)…
JM : - Quels conseils donneriez-vous aux lecteurs qui souhaitent devenir écrivains ?
Emmanuel : Je conseillerais, comme je l’ai dit plus haut, d’être avant tout passionné par l’exercice écriture. La passion est l’état indispensable pour accepter la masse de travail que demande la finalisation d’un roman. Il ne faut pas s’attendre à écrire d’emblée le chef-d’œuvre du siècle. Il faut écrire, beaucoup écrire, toujours écrire, car l’écriture est à l’image des disciplines sportives qui demandent beaucoup d’entraînement. Plus on s’y adonne, meilleur on devient. Il faut donc accepter de se construire sur le long terme (voire le très long terme), et ne pas croire à la reconnaissance immédiate à laquelle l’ère des télé-réalités peut laisser rêver. Tout n’est que travail et passion. Après, l’idéal est d’être à la fois passionné et passionnant, mais pour cela, le petit plus qui vous permet de rester irrésistible même lorsque vous récitez une liste de courses, il n’y a pas de recette miracle. On l’a ou on ne l’a pas.
JM : - Quel est votre endroit préféré (chez vous, une région, un pays) ?
Emmanuel : L’endroit où je me sens le plus « chez moi », c’est l’Ardèche. L’Ardèche méridionale, avec ses gorges, son Pont d’Arc. Un décor incroyable au cœur duquel a débuté pour moi, il y a 32 ans, ce qui reste encore aujourd’hui la plus grande aventure de mon existence : la rencontre avec celle qui est depuis 28 ans mon épouse.
JM : - Avez-vous des animaux de compagnie ?
Emmanuel : Oui, une chatte qui s’appelle Billie, et qui se comporte à la maison – comme le font la plupart des chats – comme si c’était elle qui payait le loyer.
JM : - Quel est votre film culte et quel genre de musique écoutez-vous ?
Emmanuel : Mon film culte est indéniablement « Retour vers le futur ». Ce n’est pas pour moi une trilogie, mais un seul et même film en trois parties. J’ai vu ce film à sa sortie, en 1985. J’avais 17 ans, autrement dit l’âge de Marty McFly, son personnage principal auquel je me suis aussitôt identifié. Et puis, honnêtement, avoir la possibilité de voyager dans le temps pour réparer certaines erreurs du passé est un sujet qui fait toujours rêver, non ?
Pour la musique, c’est un peu comme pour mes lectures. Il y a bien 2 ou 3 genres qui m’insupportent, mais sinon, j’écoute de tout : du classique, de l’opéra, de la variété, de la pop, de l’éclectro, du hard-rock… Et ce que j’aime par-dessus-tout, ce sont les bandes originales de films (vous voyez, encore le cinéma) qui offrent une diversité d’œuvres de très grandes qualités.
JM : - Quelle est votre odeur préférée, votre couleur ?
Emmanuel : J’aime l’odeur du napalm au petit matin… Non, je plaisante, il s’agit là d’une citation extraite du film « Apocalypse Now ». Plus sérieusement, j’aime l’odeur de la lavande en pleine nature, au cœur de la Provence. Quant à ma couleur préférée, c’est le gris. Parce ni trop noir, ni trop blanc, une couleur offrant une belle palette de nuances (comme le dit le titre de ma consœur britannique Erika Leonard James).
JM : - Etes-vous café ou thé ? Vanille ou chocolat ?
Emmanuel : Je suis plutôt café. Quant au chocolat, ceux qui me connaissent évitent de m’en mettre sous le nez parce que je suis incapable de me discipliner. Il est impossible pour moi de me contenter d’une simple dégustation de deux ou trois carrés. Je tombe immédiatement dans l’excès.
JM : - Avez-vous quelque chose d'autre à ajouter ?
Emmanuel :
Si j’ai droit à un mot, un seul, je vous dirais : supercalifragilisticexpialidocious.
Vous savez ce mot de Mary Poppins qui est un vrai calvaire (le mot, pas Mary Poppins) pour les palais chatouilleux, mais qui, si vous le dîtes d’un trait, vous rend prodigieux. Parce que justement c’est un mot qui ne veut à la fois rien et tout dire. Il est l’exemple même de ce que moi, j’appelle la bonne littérature. Nul besoin d’un langage propre et châtié pour bien se faire entendre, le tout est de trouver son public et de savoir instaurer avec lui un code de communication efficace et plaisant. Puissiez-vous sur ce procédé saisir toutes les subtilités de la non-communication de mon dernier roman « L’Antichambre du bon Dieu » et ainsi entendre et comprendre les rires de Patou, son atypique héros.
JM : - Merci Emmanuel PROST pour ce très agréable moment passé en votre compagnie, votre disponibilité et votre gentillesse.
Les amis, vous avez la parole : vous pouvez si vous le souhaitez poser d'autres questions à Emmanuel qui vous répondra avec plaisir, en direct ou plus tard, selon ses disponibilités.